''Renoncez ici et maintenant à la maltraitance des enfants !'' Le plaidoyer d'Hervé Saulignac, député d'Ardèche, n'a pas suffit à faire abandonner le principe de rétention des mineurs étrangers avec leur famille.
Que faire des mineurs étrangers en attente d'expulsion ? Doivent-ils être placés en centre de rétention avec leur famille ou doit-on privilégier l'assignation à résidence, comme le demandait une circulaire du 6 juillet 2012 ? Cette question fait débat et est indubitablement un point de crispation régulier. Depuis 2012 la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a, à six reprises, condamné la France pour traitements inhumains et dégradants.
Les associations militantes ne sont pas seules à tenter de s'opposer à cette mesure, dans "l'intérêt supérieur de l'enfant". En mai 2012, François Hollande lui-même s'était engagé à y mettre un terme.
En mars le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Nils Muižnieks, avait appelé la France à mettre fin à une pratique aux "effets néfastes sur la santé mentale" des mineurs.
La Contrôleure des lieux de privation de liberté Adeline Hazan a dénoncé "le principe même de l'enfermement de ces enfants", en raison "des traumatismes qu'il provoque" et des "bouleversements" dans les rapports parents-enfants.
Le Défenseur des Droits Jacques Toubon est régulièrement intervenu auprès des préfectures l'an dernier "pour leur rappeler que cette pratique est contraire à la Convention des droits de l'enfant » et demander la libération des familles.
Les tensions ont été encore avivées par l'adoption par le Parlement, le 22 avril 2018, du projet de réforme de la loi et notamment de l'article 16, l'une des évolutions majeures, qui double les délais de rétention d'étrangers en attente d'expulsion, les faisant passer de 45 à 90 jours.
Les députés de Drôme et d'Ardèche ont voté selon les consignes de leur groupe: pour la REM, Alice Thourot (Montélimar) a voté pour. Elle était d'ailleurs la seule drômoise présente à l'Assemblée, Mireille Clapot (Valence) et Cécilia Lavergne (Crest) étaient absentes et n'avaient semble t-il pas donné de procuration. Pour LR, Emmanuelle Anthoine (Romans) et Fabrice Brun (Aubenas) ont voté contre. Et côté PS, Michèle Victory (Annonay) et Hervé Saulignac (Privas) ont également voté contre.
Ils sont pourtant nombreux à s'être coalisés pour lutter contre cette mesure, y compris dans les rangs de la majorité, qui compte plusieurs élus en désaccord avec le texte du gouvernement. Une série d'amendements visant à interdire la présence de familles avec enfants en centre de rétention (275 mineurs en 2017, sans compter l’outre-mer et Mayotte) a été déposée par un front LFI-PCF-PS-MoDem, constitué pour s'inscrire en contre ; et Jean-luc Mélenchon, à l'Assemblée, a dénoncé « une solution barbare ».
Et Hervé Saulignac, député ardéchois, n'a pas hésité à apostropher directement le ministre pour rappeler qu'un enfant doit être soigné et défendu, et non emprisonné.
Mais pour le gouvernement, interdire la rétention des mineurs empêcherait de fait toute reconduite à la frontière des familles en situation irrégulière.
Une telle interdiction serait "instrumentalisée par les filières de passeurs qui vont faire venir des mineurs", affirme la députée En Marche Marie Guevenoux.
On serait "matériellement mis dans la situation de ne plus expulser quelque famille que ce soit", a estimé Emmanuel Macron lors de son entretien du dimanche 15 avril sur BFMTV, RMC et Mediapart.
En conséquence le gouvernement ne bougera pas d'un pouce : la durée maximale de rétention passera de 45 à 90 jours, quel que soit l'âge.
Mais pour tenter d'endiguer un peu la grogne, les députés LREM vont mettre en place un groupe de travail dans le but de rédiger une proposition de loi dans les prochains mois, et le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, porteur du projet, promet de débloquer 1,5 million d'euros pour des travaux d'aménagement en vue d'améliorer les conditions de rétention des centres accueillant des familles, notoirement sinistres.
Monsieur Saulignac, il reste encore bien du chemin à parcourir pour défendre les droits des enfants.
Christine Guillerm