De la préhistoire de la pandémie à son explosion. Le Monde a traduit et publié le 31 mars un article scientifique majeur, paru dans la revue américaine Science. C’est long, parfois inquiétant, criant de vérité, d'humilité scientifique et d'humanité. Quelle leçon ! Et, accessoirement, quelle magnifique travail de journaliste scientifique. Les questions qu'il faut, quand il faut. Et la persévérance !
Tout y est passionnant. Voilà un article (et une interview) qui rend humble. Après l’avoir lu, comment un politique, un syndicaliste, un économiste pourrait encore dire Yaka, Faucon ?
George Gao est le directeur général du «Centre chinois de contrôle et de préventions des maladies», le plus grand centre chinois de recherche dans ce domaine, même s’il ne rassemble «que» 2.000 chercheurs, là où les Etats-Unis en alignent 10.000, dans leurs «Centers for Disease Control and Prevention». Il reste lui-même un chercheur très actif. En janvier, l’équipe dont il faisait partie a été la première à isoler et à séquencer le SARS-CoV-2, du syndrome respiratoire aigu sévère, qui cause la maladie appelée Covid-19. Il est l’auteur ou le coauteur de nombreuses études sur les «virus à enveloppe», dont fait partie le SARS-CoV-2.
Ce haut responsable n’est pas un apparachik du Parti communiste chinois. Après des études vétérinaires, George Gao a obtenu un doctorat en biochimie à Oxford et s’est spécialisé en immunologie et en virologie comme postdoctorant dans cette université britannique puis à Harvard. En janvier 2020, son équipe a apporté une importante contribution à une mission conjointe formée de chercheurs chinois et internationaux qui, sous l’égide de l’OMS, a publié un rapport décisif après avoir effectué une tournée en Chine pour mieux comprendre la réponse donnée à l’épidémie.
Dans cette interview publiée par la revue Science, le journaliste américain Jon Cohen, qui l’a recueillie, précise que George Gao a répondu à ses questions «sur plusieurs jours et par divers moyens (SMS ainsi que messagerie et conversations téléphoniques). L’entretien qui suit en est le condensé». Le lecteur trouvera plus bas le lien vers le texte intégral de cette interview, tel que Le Monde l’a publiée. Pour la facilité de lecture, Montélimar News a condensé certaines questions ou réponses. Extraits.
«Personne ne veut provoquer une panique»
Jon Cohen : Entre votre découverte du Covid 19, le 5 janvier, et l’annonce publique par les autorités chinoises, le 8 janvier, trois jours se sont écoulés pendant lesquels vous saviez forcément qu’il s’agissait d’un nouveau coronavirus. Pourquoi ces trois jours de décalage ?
George Gao : «Nous nous sommes empressés de partager l’information avec la communauté scientifique, mais c’est un sujet de santé publique. Nous devions attendre l’annonce des pouvoirs publics. Personne ne veut provoquer une panique. Et personne, nulle part dans le monde, n’aurait pu prédire que ce virus allait entraîner une pandémie. C’est la première pandémie de l’histoire qui ne soit pas causée par le virus de la grippe.
"La distanciation sociale est la stratégie fondamentale"
Jon Cohen : Quels enseignements peuvent tirer les autres pays de la gestion du Covid-19 par la Chine ?
George Gao : La distanciation sociale est la stratégie fondamentale dans le contrôle de toutes les maladies infectieuses, et plus encore des infections respiratoires. D’abord, nous avons déployé des stratégies non pharmacologiques, dans la mesure où nous ne disposons d’aucun inhibiteur ou médicament spécifique, ni de vaccin. Deuxièmement, il faut faire en sorte d’isoler tous les malades. Troisièmement, placer en quarantaine les cas contacts : nous avons consacré beaucoup de temps à leur identification et à leur isolement. Quatrièmement, interdire tous les rassemblements. Et cinquièmement, restreindre les déplacements, d’où l’instauration de la quarantaine, ou «cordon sanitaire», comme on dit en français
«Ne pas porter de masque pour se protéger est une grande erreur»
Jon Cohen : Quelles sont les erreurs commises actuellement par d’autres pays ?
George Gao : La grande erreur aux Etats-Unis et en Europe est, à mon avis, que la population ne porte pas de masque. Ce virus se transmet par les gouttelettes respiratoires, de personne à personne. Les gouttelettes jouent un rôle très important, d’où la nécessité du masque – le simple fait de parler peut transmettre le virus. De nombreux individus atteints sont asymptomatiques, ou ne présentent pas encore de symptômes : avec un masque, on peut empêcher les gouttelettes porteuses du virus de s’échapper et d’infecter les autres.
Jon Cohen : Il existe d’autres mesures de lutte contre l’épidémie. La Chine fait ainsi un usage intensif des thermomètres à l’entrée des commerces, des immeubles et dans les stations des transports en commun.
George Gao : En effet. Partout où vous allez en Chine, il y a des thermomètres. La prise de température généralisée permet de ne pas laisser entrer quiconque présente de la fièvre. Car la stabilité de ce virus dans l’environnement est une question-clé, qui reste à ce jour sans réponse. S’agissant d’un virus à enveloppe, on est tenté de penser qu’il est fragile et particulièrement sensible à la température ou à l’humidité des surfaces. Cependant, des résultats obtenus aux Etats-Unis et des études chinoises laissent penser qu’il serait très difficile à détruire sur certaines surfaces. Il pourrait être capable de survivre dans de nombreux environnements. Sur ce point, nous attendons des réponses scientifiques.
Le marché de fruits de mer est-il le berceau de l'épidémie ?
Jon Cohen : Le marché de fruits de mer de Huanan fermé par les autorités locales le 1er janvier. Considérez-vous ce marché comme le berceau probable de la maladie, ou bien comme une fausse piste, une chambre d’amplification plutôt que le foyer premier ?
George Gao : C’est une excellente question. Vous travaillez comme un véritable détective. D’emblée, tout le monde a pensé que ce marché était à l’origine de la maladie. Aujourd’hui, je ne sais pas si c’est là que le virus est apparu, ou seulement un endroit où il a trouvé à se propager. Deux hypothèses subsistent, c’est à la science de trancher.
"L’immunité collective n’est pas encore atteinte, c'est une certitude"
Jon Cohen : Pensez-vous qu’une part suffisante de la population a été infectée, de telle sorte qu’une immunité collective éloigne le virus ?
George Gao : L’immunité collective n’est pas encore atteinte, c’est une certitude. Mais nous attendons des résultats plus probants des recherches d’anticorps, qui nous diront exactement combien de personnes ont été infectées.
Jon Cohen : Quelle stratégie, alors ? Gagner du temps en attendant que des traitements efficaces soient mis au point ?
George Gao : Exactement, et nos scientifiques planchent à la fois sur un vaccin et sur des médicaments.
Jon Cohen : Pour de nombreux chercheurs, le remdesivir serait le plus prometteur des médicaments actuellement à l’étude. Quand pensez-vous avoir des résultats d’essais cliniques pour la Chine ?
George Gao : En avril.
«Ce virus vient de la planète Terre. Il est notre ennemi à tous»
Jon Cohen : Que pensez-vous du nom de «China virus» employé par le président américain Donald Trump ?
George Gao : «Parler de virus chinois est une mauvaise idée. Ce virus vient de la planète Terre. Il n’est pas l’ennemi d’un individu ou d’un pays en particulier : c’est notre ennemi à tous.»
Voici les liens vers la traduction en français publiée par Le Monde puis vers le texte original de la revue Science :
LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE PAR LE MONDE :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/31/ne-pas-porter-de-masque-pour-se-proteger-du-coronavirus-est-une-grande-erreur-affirme-un-haut-scientifique-chinois_6035064_3232.html?xtor=EPR-32280629-[a-la-une]-20200401-[zone_edito_1_titre_1]
L'ARTICLE ORIGINAL PUBLIÉ DANS LA REVUE SCIENCE:
https://www.sciencemag.org/news/2020/03/not-wearing-masks-protect-against-coronavirus-big-mistake-top-chinese-scientist-says.