Les neuf Sages ont tranché : est conforme à la Constitution la loi d’urgence de mars, dont son article 19, qui valide le premier tour des municipales. Ils ont ainsi répondu à deux des Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui leur ont été soumises. Les suivantes (dont celle du Marsannais Philippe Chambolle) ne seront pas examinées dans la mesure où elles les interrogent sur le même texte. La parole est maintenant aux tribunaux administratifs, qui peuvent désormais examiner les recours formés par les auteurs de ces QPC et par quelques milliers d’autres candidats, dont, ici, à Donzère, Marsanne et Saulce.
«En cyclisme, on appelle ça le «juge de paix», a écrit ce 17 juin Le Monde. Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devait se prononcer sur la validité des élections municipales, rien que ça ! C’est fait. Mais là-haut, dans les Palais de la République, ont a vraiment tremblé en attendant la décision du «juge de paix» !
La question était déterminante : le Parlement avait-il le droit de dire, dans une loi, que les premiers tours étaient «validés» ? Oui, soutenait le gouvernement, qui avait transmis ce projet de loi au Parlement, avec la volonté que le processus démocratique avance. Non, soutenaient les auteurs de ces QPC, puisque, sous l’emprise de la crise sanitaire et des restrictions diverses le jour de ce vote, le scrutin n’a pas respecté les principes d’exercice du scrutin, gravés dans la Constitution : secret, égal et universel. Bref, comme diraient mes enfants, c’est du lourd.
Patrick Roger, une grande plume du Monde, a écrit ce 17 juin, avant de connaître la décision des Sages, une présentation très juste des arguments de chacun. Voici quelques extraits de son article :
«La QPC (portait) sur l’article 19 de la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire du 23 mars 2020, qui considérait comme acquise l’élection des conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour et reportait le second tour au plus tard au mois de juin si la situation sanitaire permettait la tenue des opérations électorales.
«Un premier tour qui, écrit Patrick Roger, avait été marqué par une abstention historique de 55,34 %. Pour Me Céline Alinot, plaidant lors de l’audience du lundi 15 juin, cette abstention massive a altéré la sincérité du scrutin. Certes, le code électoral ne prévoit pas de seuil de participation en cas d’abstention volontaire mais, estime l’avocate, «en l’espèce, l’abstention n’a pas été volontaire, elle a été contrainte, notamment pour les plus âgés et les plus fragiles», que le premier ministre, Edouard Philippe, exhortait, le 6 mars, à «rester dans toute la mesure du possible à leur domicile».
«Contestable également, selon les requérants, le délai qui aura séparé les deux tours de ces élections municipales hors norme. «L’élection est un tout, premier et second tours, car il convient de conserver une homogénéité de l’offre politique et du sens du scrutin, précise l’avocate. Le code électoral prévoit un délai de huit jours entre les deux tours ; il sera de quinze semaines. Toutes les cartes ont été rebattues. Ce n’est plus un scrutin à deux tours, c’est un scrutin à deux fois un tour, contraire à la Constitution.»
Grief infondé
«Pour Me Arié Alimi, «en entérinant ce premier tour, cette loi viole les trois principes constitutionnels d’égalité, du droit à la santé et de la sincérité électorale» (…).
«Lors de la même audience, écrit Le Monde, une deuxième QPC était examinée, portant sur l’article L. 262 du code électoral. Celui-ci ne prévoit pas de seuil de participation minimal pour l’élection au premier tour des conseils municipaux dans les communes de plus de 1 000 habitants. «Une incongruité historique», résultant d’«une omission fortuite» lors de l’élaboration de la loi du 20 novembre 1982, selon Me Romain Geoffroy (…).
«Un grief infondé, selon le représentant du gouvernement, Philippe Blanc. «Le niveau de participation, même lorsqu’il est faible, n’affecte ni le pluralisme, ni la sincérité du scrutin», assure-t-il. Au contraire, ajoute-t-il, l’absence de quorum au premier tour «favorise le pluralisme», une liste qui a obtenu entre 5 % et 10 % pouvant obtenir des sièges en cas d’élection dès le premier tour alors qu’elle ne pourrait se maintenir au second (…)» .
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel ne se prononce ni sur la régularité des votes acquis malgré une faible participation, ni sur l’atteinte éventuelle au caractère secret, universel et égal du scrutin, caractère qui, certes n'est pas explicitement rappelé dans la loi, mais qui, selon certains constitutionnalistes, semble sous-tendu. Sur ce point, le Conseil se limite à dire que les dispositions de la loi de mars «n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l’attribution de sièges».
«Dès lors, écrivent les Sages, (la loi contestée ne fait) pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l’élection.» Puis, dans un raccourci qui peut étonner, ils enchainent directement en disant : «Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et des principes de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage doivent être écartés».
Soit. L’affaire est donc entendue. La loi de mars est constitutionnelle. La parole est maintenant aux tribunaux administratifs. Car le point important de cette décision est précisément dans ce que les Sages ne disent pas. Ils ne disent pas : si, si, le 15 mars, jour du premier tour, les principes constitutionnels de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage ont été respectés. Ils disent : Aux tribunaux administratifs de trancher. Au cas par cas et évidemment seulement où ils sont saisis, donc là où il y a eu recours.
Pas de tsunami politique
Cette décision est sans appel. Même si on peut se demander pourquoi les Sages évacuent ces questions fortes, déjà évacuées par le Parlement, posées sur la sincérité du scrutin et l’égalité devant le suffrage non seulement, bien sûr, là où des recours ont été formés, mais aussi dans toutes les communes où il n’y a pas eu de recours. Il est vrai qu’on imagine assez bien quel tsunami politique c’aurait été s’ils avaient mis en cause la constitutionnalité de toutes les élections.
D’une certaine façon, on pourrait se dire que le Conseil constitutionnel botte en touche. Il renvoie l’affaire aux tribunaux administratifs. A eux de faire des mécontents, dans les 3.000 communes où il y a eu recours !
Les QPC transmise au Conseil constitutionnel bloquaient en effet leur travail. Logique : il serait absurde qu’ils valident, le cas échéant, une élection et qu’un peu plus tard, les Sages retoquent la totalité des scrutins, donc y compris ceux sur lesquels les tribunaux auraient planché.
Autour du Rhône et de Montélimar, au moins trois recours en annulation leur ont été transmises : par des candidats non élus à Donzère, Marsanne et Saulce. Jugement donc dans les prochaines semaines.
J.-F. D.